Aujourd’hui ça fait 20 ans que Desproges n’est plus là, et il manque cruellement…
Alors, même s’il ne s’agit pas de chanson, offrons nous le plaisir de partager ce texte et ouvrons une bonne bouteille de Bordeaux en son honneur !
« Je vais mourir ces jours-ci. Il y a des signes qui ne trompent pas :
1°) Quand je fais ça, j’ai mal ici, voir figure 1, et quand j’appuie là, ça m’élance d’ici à là, ouille, figure 2.
2°) Le docteur est venu hier. En m’auscultant, il a dit : « Oulalalala ! Mon pauv’vieux. »
3°) J’ai mon Jupiter dans le poisson.
4°) Ma femme chante plus fort dans la cuisine.
Sur le plan purement clinique, le signe irréfutable de ma fin prochaine m’est apparu hier à table : je n’ai pas envie de mon verre de vin. Rien qu’à la vue de la liqueur rouge sombre aux reflets métalliques, mon cœur s’est soulevé. C’était pourtant un grand Saint-émilion, un Château-Figeac 1971, c’est-à-dire l’une des plus importantes créations du génie humain depuis l’invention du cinéma par les frères Lumière en 1895. J’ai soulevé mon verre : « Beurk ». Pire, comme j’avais soif, je me suis servi un verre d’eau. Il s’agit de ce liquide transparent qui sort des robinets et dont on se sert pour se laver. Je n’en avais encore jamais vu dans un verre. On se demande ce qu’ils mettent dedans : ça sent l’oxygène et l’hydrogène. Mais enfin, bon, j’en ai bu. C’est donc la fin.
C’est horrible : partir comme ça, sans avoir vécu la Troisième Guerre mondiale avec ma chère femme et mes chers enfants courrant nus sous les bombes. Mourir sans savoir qui va gagner : Poulidor ou Hinaut ? Saint-étienne ou Sochaux ?
Mourir sans avoir jamais rien compris à la finalité de l’homme. Mourir avec au cœur l’immense question resté sans réponse : si Dieu existe, pourquoi les deux tiers des enfants du monde sont-ils affamés ? Pourquoi vivons-nous avec au ventre la peur incessante de l’holocauste atomique suprême ? Pourquoi mon magnétoscope est-il en panne ? Je ne sais pas ce qu’il a, quand on appuie sur « lecture », ça marche. Mais, au bout de dix secondes, « clic », ça se relève tout seul ! Alors, bon, j’appuie sur le bouton « retour rapide ». La bande se recule au début. Je rappuie sur « lecture ». Et là, ça marche !
Pourquoi, pourquoi, pourquoi ? Qui sommes-nous ? Où allons-nous ? D’où venons-nous ? Quand est-ce qu’on mange ? Seul Woody Allen, qui cache pudiquement sous des dehors comiques un réel tempérament de rigolo, a su répondre à ces angoissantes questions de la condition humaine ; et sa réponse est négative : « Non seulement Dieu n’existe pas, mais essayez de trouver un plombier pendant le week-end ! »
J’en vois d’ici qui sourient. C’est qu’ils ne savent pas reconnaître l’authentique désespérance qui se cache sous les pirouettes verbales. Vous connaissez de vraies bonnes raisons de rire, vous ? Vous ne voyez donc pas ce qui se passe autour de vous ? Si encore la plus petite lueur d’espoir nous était offerte ! Mais non : c’est chaque fois la même chose : j’appuie sur le bouton « lecture », ça marche. Mais, au bout de dix secondes, « clic », ça se relève tout seul ! Alors, bon, j’appuie sur le bouton « retour rapide ». Ca se recale au début. Je rappuie sur « lecture ». Et là, ça marche ! Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ?
Comme le disait si judicieusement mon amie Eva l’autre jour, alors que nous tentions de travailler ensemble : « Si ça se relève chaque fois que tu appuies sur le bouton, on n’est pas sortis de l’auberge. »
Avant de mourir, je voudrais remercier tout particulièrement la municipalité de Pantin, où je suis né, place Jean-Baptiste-Vaquette-de-Gribeauval. Et, comme je suis né gratuitement, je préviens aimablement les corbeaux noirs en casquette de chez Roblot et d’ailleurs que je tiens à mourir également sans verser un kopek. Ecoutez-moi bien, vampires nécrophages de France : abattre des chênes pour en faire des boîtes, guillotiner des fleurs pour en faire des couronnes, faire semblant d’être triste avec des tronches de faux-cul, bousculer le chagrin des autres en leur exhibant des catalogues cadavériques, gagner sa vie sur la mort de son prochain, c’est un des métier les moins touchés par le chômage dans notre beau pays.
Mais moi, je vous préviens, croque-morts de France : mon cadavre sera piégé. Le premier qui me touche, je lui saute à la gueule. »
Pierre Desproges
c’est rigolo, j’étais persuadé que tu allais faire une note sur lui aujourd’hui ! je suis content et triste à la fois. bise de manque…
Je viens d’écouter le Tribunal de Flagrants Délires rediffusé sur Inter, que du plaisir, et tellement d’actualité ! La flamboyance de Desproges face à l’indigence de ce pauvre Séguéla !
perso je ne connait pas bien ce monsieur dans le texte… il me restrar de quoi lire et voir pour mes 70 ans !