Une journée avec Alain Souchon

Bruno nous a fait suivre cette perle sur notre forum privé (réservé aux adhérents de Bordeaux Chanson), mais comme nous sommes magnanimes, nous avons eu envie de partager avec vous ce moment d’humour et de poésie :

« Une journée avec Alain Souchon« , article du magazine « Elle » (n°3330 du 23 octobre 2009)

« Je me réveille vers 8 h 30, je dis à ma femme que j’ai mal dormi. Et donc qu’on devrait vivre à la campagne et élever des porcs. On serait au calme, on dormirait bien. Et puis c’est gentil, les porcs, même si ça mange les enfants. Elle me répond que je suis bougon. Et qu’on me retrouverait pendu d’ennui dans la grange. Alors, je lui dis d’accord. Et on va dans notre cuisine décorée XIXe siècle, toute grise, avec des placards et des boutons en laiton, prendre notre petit déjeuner. Je suis toujours bougon mais un peu moins, car j’aime bien prendre mon café et mes tartines, recouvertes de beurre salé et de confiture de prunes. C’est ma femme qui fait les confitures, l’été, dans notre maison de campagne. Elle est pieds nus sur le carrelage, elle ne porte quasi qu’un tablier, c’est la folie. »

Ensuite, je prends un bain. Aussi rapide que le baptême de Clovis. Dans ma salle de bains XIXe. Le XIXe, c’est un siècle que j’adore, pour le romantisme et pour l’espoir. A l’époque, ils croyaient encore au pouvoir des machines et à l’industrialisation, ils pensaient que tout le monde allait être heureux ! Et voyez où ça nous a menés ! Bref. Je m’habille : pantalon bleu marine, blouson bleu marine, casquette, lunettes noires. On dirait un gendarme. Ou un agent de la police municipale de Blois. C’est que j’aime bien le bleu. Tout de suite après m’être habillé, je ne sais plus quoi faire.

Alors je dis à ma femme : je m’occupe du déjeuner. Je descends à la boulangerie la plus proche et j’achète deux sandwiches jambon-fromage. Et je dis à ma femme : je t’emmène, c’est une surprise. Sauf qu’elle la connaît déjà, car c’est à chaque fois pareil. Je l’emmène sur un Batobus. Sur les Batobus, il n’y a que des Chinois, et les Chinois ne me connaissent pas. Alors je peux enlever ma casquette, mes lunettes, c’est plus tranquille. Ma femme est contente. On mange nos sandwiches. On regarde Paris. Inspiré par le bateau, je lui dis : on devrait vivre au bord de la mer. Et elle me répond : tu commences demain le Casino de Paris, alors ce n’est pas le moment de déménager. Pense à ton travail. Je dis oui. Et on regarde la tour Eiffel. Puis on fait demi-tour. Et on descend à la station.

Et, tout de suite après, je suis désemparé car je ne sais plus quoi faire. Alors je dis à ma femme – d’un air pénétré : je pars travailler. Et je vais dans les rues de Paris, poussé par le vent, chercher des phrases et des mots avec mon filet à papillons. En général, je reviens les mains vides et je suis un peu bougon. Je dis à ma femme : ce qui serait bien, c’est qu’on aille s’installer en Italie. Définitivement. On tuerait nos enfants. On recommencerait une autre vie. Mais elle me dit non. Ou : « Il te reste trois chansons à faire, écris-les. » Ou : « Ce soir, tu veux qu’on aille voir tel film ? » Je réponds, d’un air las : « On peut pas plutôt louer le DVD ? » Et elle appelle sa soeur, effondrée, en disant que je n’ai aucune énergie. Là-dessus, on mange. Des légumes. Verts. Et un bout de viande pour moi. Ça m’est un peu égal car je n’aime pas tellement manger.

Puis je vais dans mon bureau d’un air inspiré. Ou, finalement, on regarde un DVD. Ou on va chez des amis. Ou on en reçoit. Un problème : je me disais qu’on allait inviter des gens de plus en plus haut placés dans le milieu du cinéma pour que, à la fin, Sharon Stone vienne manger à la maison. Mais, depuis que je l’ai vue dans un magazine en maillot de bain et les jambes un peu écartées, je n’en ai plus tellement envie. Ça m’a rendu triste. Vers minuit, je me couche. Je dis à ma femme : on va aller vivre dans le Sud marocain. Sous une tente. On ne verra plus personne. Et ma femme me dit : c’est une idée mais tu es bougon. Va d’abord chez le coiffeur car tu as tes concerts. Alors je m’endors, dans ma chambre XIXe très belle et très sombre avec une horloge gothique, et je fais des mauvais rêves. Je rêve de choses qui me contrarient. Il faudrait peut-être que j’en parle à ma femme. »